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5 bonnes raisons de ne pas croire (ou presque) à tout ce qu’on vous raconte sur le futur du tourisme… côté transport

 

Novembre et décembre furent fertiles en enquêtes, rapports, colloques et articles divers concernant l’innovation et l’avenir de l’activité touristique. Deux sujets attiraient sur eux tous les projecteurs : les transports (demain évidemment plus rapides et plus écologiques- oui je sais, dis comme ça, ça fleure déjà un peu le paradoxe) et le numérique (notre grand ami pour la vie et le voyage). L’article d’aujourd’hui traite de la partie transport, je reviendrai, dans le prochain, sur le cas du numérique.

En croisant les différentes parutions, on arrive vite à cerner 5 sujets prioritaires qui -d’après les auteurs et les intervenants- vont modifier complètement le futur du tourisme voire de la société tout entière (mais notre bon tourisme n’est-il pas, in fine, le simple reflet de notre société ?)

Les nominés au grand chambardement des transports étaient : l’hyperloop, les avions électriques, la voiture autonome, les bateaux fonctionnant au GNL et le tourisme dans l’espace. Alors allons-y pour une séance de décryptage.

 

L’hyperloop ou demain nous allons voyager propre à 1300 Km/h grâce au magnétisme et à la lévitation sous vide. La technologie est annoncée comme révolutionnaire. Elle est portée par les deux grands duettistes du transport futuriste Richard Branson et Elon Musk. Elle n’a, en fait, rien de novatrice. Elle a déjà été expérimentée plusieurs fois (mais, c’est vrai, de manière segmentée) depuis 50 ans par les japonais, les allemands, les suisses, et j’en oublie certainement…. Elle n’a abouti à la fin… ben sur … rien (à part quelques sites de recherche abandonnés). Les freins étaient trop nombreux : géographie, débit voyageurs, vitesses réellement atteintes, risques, accidents, investissements,...  Alors, à mon avis, l’histoire se répétant, il y aura, à nouveau, quelques expérimentations, on aura même quelques lignes aux Emirats ou aux US. Mais imaginer demain un réseau révolutionnaire de transport par hyperloop, je ne mettrai pas un quart de kopeck dessus. Hyperloop rime pas trop mal avec entourloupe, ce n’est pas de moi mais celui-là je l’aime bien.

 

Dans dix ans des avions propres, 100 % électriques : même qu’en 2022 vont voler les premiers avions électriques c’est sûr… L’aéronautique a en fait ici un gros problème, celui de devoir respecter la loi, celle de la pesanteur. Dura lex sed lex comme on disait autrefois. Pour faire voler 100 % électrique un avion de 150 passagers, il faudrait embarquer 150 tonnes de batteries. Cà plombe un peu le décollage. Comme les batteries évoluent doucement côté poids, on peut par contre imaginer, dans les prochaines décennies, des avions de ligne à motorisation hybride (mais annoncés comme électriques) dont le décollage sera thermique. Ceci permettra toutefois de faire de substantielles économies de carburants- et donc de rejet de CO2- et ce n’est pas rien. Sera-ce suffisant pour réduire l’impact GES de l’activité aéronautique dans le trend de progression actuel (doublement des passagers tous les 15 ans) ? Alors là, j’en doute très fort.

Ah oui, petit détail important, presque urticant. Comme le dit si bien l’ami Jean-Marc Jancovici, l’électricité est aussi propre que la manière de la produire. Rappelons donc que 38 % de l’énergie électrique dans le monde est aujourd’hui produite par du …charbon. Remplacer du kérosène par de l’électricité venant du charbon reviendrait à augmenter le CO2 émis. Ça gratte un peu, non ? 

 

Des bateaux naviguant au GNL, le futur de la navigation. Celle-là, j’avoue, je ne l’avais pas vue venir. Commençons par rappeler ce qu’est le GNL ou Gaz Naturel Liquéfié. Il s’agit de gaz provenant de gisements fossiles (donc du même naturel que le pétrole et le charbon), rendu liquide par condensation cryogénique. Le GNL est en fait déjà utilisé comme carburant pour les bateaux. L’idée, ici, est donc de le généraliser en remplacement du fioul. Son grand intérêt ? Emettre moins de CO2 (25 à 30 % en moins par apport au fioul). Dans un marché de la croisière (27 M de passagers en 2018) en augmentation de 5 % par an (c’est-à-dire prévu pour doubler en 15 ans), faire 30 % de moins en émission CO2 revient à augmenter les émissions de 40 % sur 15 ans. Proposer que le GNL soit la grande solution à la navigation me semble donc un tantinet stupide.  Et c’est le problème avec la bêtise humaine: fluctuat nec mergitur. Elle tangue souvent mais ne coule jamais.

 

La voiture autonome ou on s’en fout un peu, beaucoup,…

La voiture sans chauffeur est là, on le sait, déjà expérimentée, voire exploitée aux US (voir à ce sujet le bazar médiatique créé par l’accident mortel avec une cycliste et un UBER sans chauffeur en Arizona). Pour les observateurs de l’automobile, elle va tout révolutionner. OK, bon il reste encore à résoudre quelques menus problèmes techniques, psychologiques, sociétaux, de piratage, de coûts de production, d’émission de carbone, de responsabilité juridique,…mais bon c’est sûr, on y va.

Oui mais on va où ? Sans aucun doute vers plus d’autonomie des voitures. Probablement vers quelques flottes de taxis sans chauffeur dans les grandes villes. Mais au-delà ? Dira-t-on un jour « Ignace-Arthur (IA pour les intimes) conduisez-nous donc chez Tatie Jeannette » ? Viendra-t-il un  temps où on regardera Netflix dans le carré arrière et fouettez cocher jusqu’à Champignoles? Je sais pas vous, mais moi je le sens moyen dans un pays qui n’a jamais voulu utiliser la boite à vitesses automatique.

Au fait, ça change quoi pour le tourisme si on a tous demain un chauffeur à disposition ? Quelques chauffeurs de taxi en moins ? Certainement ! Et puis pour le reste ? Pas grand-chose non ? Cà peut éventuellement favoriser le fait de ne pas prendre les transports en commun … ah ! Ce n’était pas ça l’objectif ?

 

Le voyage touristique dans l’espace pour tous ?

Eh oui, les revoilà. A la pointe de la conquête de l’espace par les touristes, on va retrouver nos Dupond et Dupont de l’hypertransportdufuturadieux, nos amis Branson et Musk. Et je dirais même plus, car ils ont été rejoints par Jeff Bezos.

Je ne sais pas si globalement la conquête de l’espace est importante pour l’humanité (je n’en sais vraiment fichtre rien mais, après tout, peut-être) mais envoyer des touristes dans l’espace me semble stratosphériquement c.. (à part si c’est utile pour financer la dite conquête dont on aura préalablement prouvé qu’elle était utile à quelque chose – oui je sais mon propos satellise un peu là).

Alors je ne sais pas ce qu’ils vont brûler pour faire ça, de l’ergol ou du polybutadiène, mais faudra bien, pour envoyer tout ce monde dans l’espace, soit brûler du fossile directement soit indirectement pour fabriquer un stock de quelque chose (hydrogène, plasma,...).

Pour moi, le tourisme spatial restera, dans les 30 prochaines années, anecdotique en nombre de personnes et réservé à quelques privilégiés. Non pas parce qu’il est technologiquement impossible ou trop cher pour une partie de la population mais parce qu’il sera énergétiquement et socialement insoutenable sur le long terme.

Ah Audiard, mon ami, comme tu avais raison, quand on les mettra sur orbite certains n’ont pas fini de tourner.

 

S’il fallait … vraiment réfléchir au futur

Les 5 grandes innovations annoncées cet automne comme révolutionnaires (et je vous ai épargné le drone transport depuis l’aéroport pour éviter les bouchons et les nouveaux avions supersoniques) vont, pour moi, avoir un destin limité et ne changeront rien ou pas grand-chose à l’activité touristique. Pourquoi ? Elles ne se situent pas dans les grandes tendances du futur.

L’adage quasi olympique du transport de ces 100 dernières années a été indéniablement « plus loin, plus vite et moins cher ». On essaye maintenant de nous vendre une variante « encore plus loin, encore plus vite mais plus vert ».  

Ces grandes orientations vont encore perdurer une décennie ou un peu plus. Mais au-delà ? Je pense pour ma part que la maxime de demain sera moins loin, moins vite, plus cher. Pourquoi ? Il y a 5 raisons à cela.

 

1.       Mobilité = pétrole

95 % des mobilités actuelles (en voiture, avion, bateau, train,…) sont liées au pétrole. Dans les 5 % restant (en gros la part électrique, surtout ferroviaire), il faut rajouter encore environ 3 % pour l’électricité produite par des énergies fossiles. On arrive à donc 98 % des transports liés à du fossile. Cà pose le problème.   

 

2.       Le pétrole va connaître son pic de production en 2025 au plus tard

Toutes les études et rapports officiels concordent maintenant pour nous dire : « en 2025 au plus tard (cela dépend pour beaucoup de la santé financière vacillante de l’industrie du pétrole de schiste américaine) nous atteindrons un pic de production autour de 105 – 110  M de barils jour tous types de pétroles confondus ». L’avenir s’écrira alors avec chaque année un peu moins de pétrole pour un peu plus de demande. Moins pour plus sera aussi l’adage des prochaines années. 

 

3.       On ne remplacera pas rapidement le pétrole watt pour watt

Remplacer le pétrole dans le cadre de nouvelles motorisations très peu émettrices en CO2 avec les mêmes principes de déplacement et de vitesse pose, pour moi, des problèmes insurmontables à l’échelle de 30 ans. Pour des raisons de rationnement ou de réglementation nous devrons réduire nos déplacements et nos vitesses (et c’est déjà en cours). 

 

4.       La prise en compte du réchauffement climatique va finir par influencer fortement nos choix

L’année 2019 a marqué une première transition au niveau médiatique, sociétal, voire parfois politique (très timide certes la transition). Greta Thunberg n’est que le début. Les jeunes générations imposeront demain une vision différente du monde et reprocheront à leurs ainés leur inaction.  L’intégration du réchauffement climatique (c’est-à-dire ici de la décarbonation des transports) s’imposera fortement dans la politique. Sans doute très tard, sans doute trop tard mais elle s’imposera.

 

5.       Pour réaliser ces rêves technophiles, il faudrait disposer d’une source d’énergie quasi infinie

Cette seule source possible est la fusion nucléaire. Pour peu que nous y arrivions un jour (ce qui est loin d’être sûr), cela ne se produira pas de manière exploitable avant 50 ans d’après les différents spécialistes. Donc certainement pas dans le pas de temps qui est le nôtre aujourd’hui.

 

S’il fallait conclure, je dirais méfiez-vous du discours ambiant  

Ces articles et interventions de cet automne ne nous disent, en fait, pas grand-chose sur le futur. Cela nous dit, par contre, beaucoup sur les intérêts poursuivis par chacun. Les industriels sont forcément intéressés à développer leur industrie et à trouver des investisseurs. Les technophiles afficionados croient à la science comme sauveur de l’humanité. Les journalistes sont souvent convaincus par les premiers et rejoignent alors en béni-oui-oui les rangs des deuxièmes. Si, en plus, les compagnies d’assurances comme Allianz s’y mettent (Allianz a produit un rapport traitant notamment du futur du voyage)… Nous devons absolument essayer de décrypter le discours et ne pas prendre pour argent comptant tout qui vient de ce genre de parutions et évènements. 

L’innovation devrait en fait être tournée essentiellement vers comment se déplacer avec moins d’énergie fossile. Elle devrait être tournée vers des concepts utiles comme une voiture consommant le moins possible de pétrole, accessible financièrement au plus grand nombre, nous faire rêver avec de l’électrique totalement propre. OK, c’est moins sexy que l’hyperloop ou le tourisme dans l’espace, mais sûrement bien plus efficace pour qu’il y ait encore du tourisme dans les prochaines décennies.

 

André GONDOLO, directeur associé 

Le prochain article : 5 bonnes raisons de ne pas croire (ou presque) à tout ce qu’on vous raconte sur le futur du tourisme… côté numérique

 A la prochaine et une bonne année les amis 

 

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Commentaires: 4
  • #1

    Patrick SCAGLIA (jeudi, 23 janvier 2020 10:46)

    Félicitations André pour ce premier article.Il appuie sur la prise de conscience.
    On le constate, le tourisme zéro émission CO2 n'existe pas encore, malgré les changements de comportement des entreprises touristiques et des voyageurs.
    Peut être pour le futur allons nous devoir reconsidérer pour l'activité touristique les notions de distance, de voyage et de découverte.
    Un tourisme de proximité , social, solidaire et responsable tourné vers l'humain et l'émotion.
    Au plaisir d'échanger
    Patrick SCAGLIA

  • #2

    POUDOU Sophie PNM (lundi, 27 janvier 2020 15:40)

    Bravo André,
    Très agréable à lire.

    Notre quotidien au Mercantour...changer un peu le "train train" en tant que consommateur et par conséquent, la manière de faire du tourisme ! Se méfier du "green washing" qui va nous inonder, marketing oblige. Un tourisme plus durable, le défi de cette décennie certainement, pour cette Terre qui aurait bien besoin qu'on la considère, qu'on l'aime et qu'on avance avec elle...
    Au plaisir de te lire
    Sophie, PN Mercantour

  • #3

    cerrada (samedi, 22 février 2020 06:39)

    et si finalement on refondait DM!!!on r achete Allibert pour l euro symbolique dans 15 ans?

  • #4

    Ph Bodard (STJ) (mardi, 25 février 2020 16:40)

    Enfin !!! bravo .......
    savoir raison garder!!!
    entendrons nous qu'équilibre et serenité serait l'avenir d'une définition du tourisme du futur ...

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